Guy Penne : le Foccart de Mitterrand
Comme l'explique Pierre Péan dans « Affaires
africaines » (1). En 1964, les parachutistes y
remettent en selle le fidèle Léon M'Ba, puis on
le remplace par son chef de cabinet, Jacques
'Bernard Bongo.
C'est à partir de Libreville que sera montée
et financée la grande opération de soutien de la
sécession du Biafra en 1967. Et grâce aux
moyens mis en oeuvre et aux sociétés créées à
cette occasion, on mettra en place, ensuite, un
circuit très juteux de contournement du blocus
rhodésien.
Au même moment en Centrafrique, on
couve—déjà — le régime de Bokassa, qui a pris
la relève en 1966 de David Dacko. L'un comme
l'autre prennent la caisse de l'Etat pour la leur
propre, détournent la principale production
du pays, les diamants, et la France généreuse,
qui sait tout cela, assure néanmoins les fins de
mois budgétaires à Bangui. L'argent détourné
ne va pas seulement dans les caisses du futur
empereur Bokassa. Mais on sait encore travailler
dans la discrétion. Et protéger les secrets.
L'après-Foccart sera, de ce point de vue, beaucoup
plus agité.
Sous Giscard d'Estaing après 1974, l'Afrique
arrive, de plus en plus fréquemment, à
occuper la une dans la politique française. Pas
(1) Fayard, 1983.
seulement parce que les partis politiques,
l'UDF et le RPR, se battent à couteaux tirés
pour les fructueuses « affaires » de Libreville,
de Bangui ou de Kinshasa. Aussi parce que le
président lui,même.se mêle sans prndence aux
remous les plus compromettants. Sans compter
sa famille, dont plusieurs membres père,
cousins — possèdent• d'importantes relations
d'affaires en Afrique et occupent des positions
clés dans les milieux bancaires et commerciaux.
Valéry Giscard d'Estaing fête ses amis partout
en Afrique, et les plus voyants y sont aussi
les plus corrompus : Bokassa, Bongo, Mobutu.
Même la droite finit par être écoeurée et
Pierre Messmer dénonce la « mascarade » du
couronnement de Bokassa ier à Bangui, financée
par la France, et où un cousin du président
est devenu citoyen centrafricain.
Bokassa devient définitivement infréquentable,
on le congédie. C'est l'opération Barracuda,
en 1979, au cours de laquelle les archives
de la Centrafrique sont confisquées. Le nouveau
copain que Giscard met alors en place à
Bangui n'est autre que David Dacko, un vieux
de la vieille qui, lui aussi, connaît la musique.
Mais la disparition des archives de Bangui
n'a pas éloigné des lèvres de Giscard le calice
des diamants. L'affaire éclate dans « le Canard
enchaîné » en octobre 1979 et marquera un
tournant décisif dans la carrière de Giscard
l'Africain. Car toute la France saura que le
président — mais pas lui seul — acceptait de
Bokassa des diamants, détournés de la production
nationale de la Centrafrique.
Puis arrive la gauche. Et la promesse que
tout cela appartient au passé. Que l'on va enfin
instituer de vraies relations diplomatiques
d'Etat à Etat avec les partenaires africains, que
les magouilles et les réseaux, c'est définitivement
terminé. Jean-Pierre Cot, au ministère de
la Coopération incarne l'esprit nouveau. Mais
l'illusion ne deu qru'un temps. Le _nouveau
président installe à rElysée, comme ses prédécesseurs,
une administration parallèle des affaires
africaines. Guy Penne prend le relais de
la lignée Foccart et Journiac. Les opposants
africains contre les régimes en place — que ce
soit au Zaïre, en Centrafrique, au Gabon ou
ailleurs— cessent très vite de venir à l'Elysée ou
à la rue de Solferino pour faire entendre leur
voix. Le réalisme l'emporte sur les bonnes intentions.
Jean-Pierre Cot doit partir. Son successeur,
Christian Nucci, ne sera pas homme à
avoir une politique. Il peut tout au plus être
manipulé, comme l'affaire Chalier le montre
aujourd'hui.
FRANÇOIS SCHLOSSER •
Guy Penne : le Foccart de Mitterrand
Lorsque le feu d'artifice déchira le ciel de
Sainte-Cécile-les-Vignes, une rumeur admirative
parcourut les rangs des invités africains.
Guy Penne avait bien fait les choses. Ce
week-end des ambassadeurs, les 22 et 23 juin
1985, longuement évoqué dans le document
Chalier, portait bien sa griffe.
« Les rapports avec les dirigeants africains
doivent être personnalisés », lui avait dit
François Mitterrand lorsqu'il le prit à ses
côtés, en 1981, comme conseiller pour les
Affaires africaines et malgaches. Guy Penne
s'y est employé avec une évidente jubilation.
Soixante et un ans, chevelure de neige,
l'homme est chaleureux. Il a de l'entregent, la
poignée de main et le tutoiement faciles.
De la faculté dentaire (son port d'attache) à la
scène africaine, le passage n'était pas si facile.
Mais Guy Penne avait trois atouts : la
confiance de François Mitterrand, qu'il a
connu par Charles Hernu et suivi pas à pas de
la Convention des Institutions républicaines
à la FGDS, puis au Parti socialiste ; les amitiés
nouées au début des années 50, alors qu'il
était président de l'UNEF, avec des étudiants
africains qui depuis ont fait du chemin
; enfin, la franc-maçonnerie (il est ancien
membre du Conseil de l'Ordre du Grand
Orient de France) : en Afrique, c'est une carte
de visite.
Ce que Mitterrand attend de lui ? Que le
courant passe entre Paris et les capitales africaines.
Au moindre froncement de sourcil,
Penne saute dans un avion. Pour écouter,
préciser le point de vue de Mitterrand, aplai
GuyPenne
nir les obstacles. Avec des succès incontestables.
Il a contribué à raccommoder les liens
entre Mitterrand et l'imprévisible Omar
Bongo, président (franc-maçon) du Gabon.
A normaliser les relations tumultueuses avec
le Tchadien Hissène Habré. A favoriser le
rapprochement diplomatique entre Israël et
certains Etats africains.
Ancien président de la commission des
conflits du PS — une bonne école —, Guy
Penne a su épouser le cours sinueux des rap-
• g ports toujours passionnels entre l'Afrique et
1. l'ancienne puissance coloniale. Foccart,
l'Africain de De Gaulle était un homme de
l'ombre. Penne, lui, se montre et parle. Mais
< ne se livre guère plus. Les deux hommes
pourtant sont moins éloignés qu'il n'y paraît.
Par-delà les. divergences politiques, les rapproche
une certaine vision « classique » de
l'Afrique, faite de pragmatisme, de réalisme
et d'une dose de cynisme.
Entre Penne et Jean-Pierre Cot, premier
ministre de la Coopération du septennat, le
malentendu était permanent. « C'est simple,
ils étaient en désaccord chaque fois que Cot
disait non à un Africain », explique un proche
de l'ancien ministre. Pour désamorcer les
conflits, Penne sait se montrer compréhensif.
Il tient à ses interlocuteurs le langage
qu'ils ont envie d'entendre. Bongo, Houphouët-
Boigny, le Togolais Eyadéma savent
qu'ils trouveront à l'Elysée une oreille attentive
à leurs doléances.
Mais à privilégier le dialogue avec les régimes
en place, on risque de sous-estimer les facteurs
de changement et de flirter dangereusement
avec les frontières de la non-ingérence.
Lorsqu'en 1983 Thomas Sankara,
alors Premier ministre de Haute-Volta,
soupçonné de rouler pour la Libye est arrêté
et mis à l'écart par le président
Libye,
Penne approuve. Il se rend personnellement
à Ouagadougou pour cautionner l'opération.
Deux mois et demi plus tard, le capitaine
Sankara prenait le pouvoir...
Claude Weill
1er-7 AOUT 1986/31